26 mars 2007

Marcel Duchamp, pataphysicien


Marcel Duchamp, pataphysicien, avant la fondation du Collège

I

Dans la version cinématographique de 1913 de Juve contre Fantômas, Joséphine dîne au "Crocodile", un établissement sur la place Pigalle. Dans le but d’arrêter Fantômas en flagrant délit, Juve et Fandor arrivent au restaurant, malheureusement trop tard. Quelques scènes après, dans une villa de banlieue, cette foi-ci avec l’assistance d’une troupe de policiers, le héros est presque arrêté. Mais l’homme en noir est introuvable. Fantômas se cache dans la cave, dans une grande citerne, et il respire à travers une bouteille de vin cassée qu’il utilise comme tube respiratoire. Fantômas l’a trouvé dans la cave, dans un porte-bouteilles, engin fort utile, que l’on retrouve tout juste un an après (en 1914) transformé en objet d’art sous le titre ‘Porte-bouteilles’ comme un des premiers ready-made. Marcel Duchamp l'avait simplement acheté au Bazar de l'Hôtel de Ville. Depuis, Fantômas a été élevé au rang de saint du calendrier du Collège de ’Pataphysique, mais le Transcendent Satrape Duchamp lui ‘rend hommage’ déjà en 1914.












II

Un autre objet fort intéressant est la gidouille ou spirale qui orne le ventre du père Ubu dans les dessins d’Alfred Jarry. Cette même spirale est transformée en objet mobile dans plusieurs œuvres de Duchamp, comme les « Rotative plaques verre » de 1920, les « Disques avec spirales » de 1923, 'Rotary Demisphere' (Precision Optics) de 1925 et le film « Anémic cinéma ».





'Rotary Demisphere' (Precision Optics) de 1925





III

Une des œuvres les plus douillettes – du point de vue du sujet – du TS Duchamp est certainement son Moulin à café, conçu en octobre 1911. Selon les sources historiques et le témoignage de Duchamp, cette toile fut peinte pour décorer la cuisine de son frère Raymond à Puteaux (7 rue Lemaître ; actuellement exposée à la Tate Gallery à Londres). La date de l’exécution, 1911, ne permet pas de lier l’œuvre directement aux Gestes et opinions du docteur Faustroll, pataphysicien de Jarry qui paraît dans la même année. Néanmoins cet objet a un aspect intéressant qui situe le tableau au coeur de Faustroll.

Selon Marcel Duchamp:

«… j'ai exécuté un moulin à café que j'ai fait éclater; la poudre tombe à côté, les engrenages sont en haut et la poignée est vue simultanément à plusieurs points de son circuit avec une flèche pour indiquer le mouvement. »

Marcel Duchamp Entretiens p.152

La marque du fabriquant du moulin à café n’est pas lisible sur le tableau ou le dessin préliminaire de Duchamp, et pour cette raison, j’ai essayé de vérifier les linéaments de l’objet pour déterminer leur propriété et origine. L'impressionnant et savant étude ‘Le moulin à café pendant les âges : sociologie et socio-stratification’ de Dr. A. Prlwytzkofsky (Reims 1934) nous offre, dans le tome 4 b, quelques détails sur une société Allemande qui a fabriqué des moulins (et broyeuses) identiques à l’objet représenté par Duchamp.[1] A la page 341 est reproduit un ancien moulin à café mural de faïence de la société Harhaus, d'origine allemande. L'étiquette porte l'inscription : « depuis 1875 » et « Signe de qualité ». Cette marque, originaire de la ville de Hagen, existe donc depuis 1875, mais le moulin en question est daté entre 1910 et 1920, comme les modèles similaires d'autres marques. L'enseigne de la société Harhaus est une abréviation de Harhaus ou de Harhaus et Hagen: Haha. Et il n’était donc pas rare de trouver vers 1911 dans les cuisines des moulins à café, portant une plaque avec la monosyllabe tautologique proférée par Bosse-de-Nage : Haha !




B.D. R.






Avec l’assistance de W. van der Star

[1] Malheureusement il s’est avéré impossible de consulter le livre édité sous la raison de Jarry et Compagnie écrit par le Citoyen Charlemagne : Instructions sur l'Usage des Moulins à Bras, inventés et perfectionnés par les Citoyens Durand, père et fils, Mécaniciens, dont la fourniture est entreprise par une Société de gens de l'art, rue des Vieux-Augustins, n. 26 à Paris, Blanchon, 1793. in-8. 16pp. 1 tabl. 71pp. 1 pl. Cet ouvrage sur les moulins à moudre le blé, le café, le maïs, etc. inventés par les mécaniciens Durand Père et Fils, comporte 1 tableau dépliant contenant le résultat de différentes moutures réalisées en présence des "Citoyens Page et Brulley, Commissaires de la partie françoise de Saint-Domingue" et 1 planche dépliante représentant deux modèles de moulin.

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